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Mémoire et grand âge, un livre édité par la Fondation Partage & Vie. Rencontre avec Delphine Langlet, Directrice générale

Le 18 février 2025 par Francoise Fontanelle
Delphine Langlet, Directrice Générale de la Fondation Partage & Vie
© Fondation Partage & Vie

La vieillesse, ce n’est pas toujours la grâce des souvenirs. Aborder la place du grand âge dans la société, c’est aussi prendre en charge ceux dont la mémoire dysfonctionne et s’étiole. Comment faire pour ne pas laisser la maladie effacer l’identité de ces personnes ? Cet ouvrage éclairant, édité par la Fondation Partage & Vie, s’adresse à tous : professionnels du grand âge, personnes âgées, familles, aidants et bénévoles, et apporte des pistes précieuses. Entretien avec Delphine Langlet, Directrice générale de la fondation.

Dans ce livre, la mémoire est abordée sous un angle pluridisciplinaire. Pourquoi ?

C’est tout l’intérêt de la démarche que nous poursuivons depuis cinq ans : mêler les témoignages de nos professionnels, d’experts d’horizons divers et de personnes qui, dans leur histoire personnelle, ont pu être confrontées à cette situation. Les témoignages des professionnels sont essentiels, car l’expérience acquise au contact des résidents n’a pas de prix et constitue un vrai apport pour l’ensemble de nos pratiques et de nos savoir-faire.

Quel est le lien entre mémoire et éthique dans la question du grand âge ?

Je voudrais revenir d’abord, très rapidement, sur l’histoire de notre démarche éthique. Les principes sont essentiels, mais leur traduction demande de porter une attention minutieuse à la vie quotidienne des personnes en tant qu’individus différents les uns des autres. Car un des fils conducteurs de notre conviction est que l’éthique se cache dans les détails.

Le tout début de la démarche visait à poser les principes fondateurs de ce que doit être une prise en charge des soins éthiques au sein de Partage & Vie. Nous avons rapidement convergé vers une préconisation de la bienveillance, le consentement de la personne et le respect de sa liberté. Une fois ces principes posés, nous nous sommes attachés, chaque année, à aborder l’éthique en partant de questionnements qui étaient particulièrement vifs dans la vie de nos professionnels. À titre d’exemple, en 2021 nous avons travaillé sur le thème de « la vie bonne ». Nous étions juste après le Covid, une période à laquelle les Ehpad avaient été fortement critiqués comme étant des lieux où les personnes ne pouvaient goûter à quelque plaisir que ce soit.

Cette année, un des sujets, qui est ressorti d’une manière très criante de la part de nos professionnels, était parti d’un double constat. D’une part, 75 % des personnes que l’on accueille dans les Ehpad et les maisons d’accueil médicalisé souffrent à des stades plus ou moins avancés de troubles neurocognitifs. D’autre part, dans l’esprit des professionnels, des familles et des résidents eux-mêmes, il pouvait y avoir un amalgame entre ce qu’est le vieillissement normal de la mémoire – avec une mémoire qui commence progressivement à s’échapper mais sans pour autant être un vieillissement pathologique – et une mémoire qui évolue dans les formes de pathologie d’une manière assez régulière ; ce qui est le cas lors de maladies neuro-évolutives ou neurocognitives, dont la maladie d’Alzheimer. Aussi, en partant de ces deux constats, nous avons eu envie de donner des clés de compréhension aux familles et aux résidents. Puisque ces personnes représentent la majorité des résidents que nous accompagnons, comment peut-on, d’une part, agir à titre préventif, mais aussi comment comprendre les maladies ou les situations pour mieux les accompagner au quotidien ? Cela a fait l’objet de différentes réflexions et de différents travaux sur les moyens à mettre en place pour accompagner ces troubles.

La mémoire est ce point de convergence pour mieux accompagner des résidents en Ehpad ?

Ce qu’il faut avoir en tête – et ce qui est développé par les professeurs Lionel Naccache et Claude Jeandel dans le livre –, c’est qu’il existe plusieurs mémoires. Et c’est important, car quand l’une d’elles fait défaut – en particulier la mémoire épisodique, celle de la conscience des choses et de leur organisation dans le temps, ce qui est le cas lorsque l’on souffre de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées – un certain nombre de mémoires peuvent être activées.

Il y a la mémoire sémantique qui a trait aux connaissances globales et qui perdure chez la personne quand bien même elle serait désorientée. Il y a la mémoire émotionnelle qui, très forte, reste présente très longtemps ; ce que décrit Lionel Naccache dans le livre. Par exemple, une personne, même atteinte d’une maladie neuro-évolutive, va se souvenir d’un soignant si celui-ci a été bienveillant durant les jours qui ont précédé, mais pas si elle a eu une relation complexe et difficile avec lui.

La mémoire procédurale, c’est la mémoire des gestes du quotidien. Nous constatons chaque jour dans nos établissements que les personnes, mêmes désorientées, savent toujours réaliser les gestes de la vie domestique, des gestes rassurants pour prendre soin de soi. Par exemple, un homme peut savoir encore se raser jusqu’à ses derniers jours et, parfois, il s’agit simplement de l’aider en posant le rasoir sur son visage pour qu’il se souvienne du geste. Mémoire de la cuisine, du jardinage, nous cherchons à préserver et à l’entretenir ces mémoires aussi longtemps que possible, notamment grâce à la méthode Montessori qui permet à la personne de continuer à faire seule chaque geste qui ne la met pas en difficulté, mais qui au contraire la rassure et donne un sens à ses actions.

Les éclairages, les conseils et les outils comme celui-ci, forment une part importante de l’ouvrage…

Tous ces conseils reposent sur un élément majeur dans la relation avec ces personnes qui peuvent être désorientées : être dans le présent, « ici et maintenant ». Ces personnes vont souvent rencontrer des difficultés à restituer des faits et des évènements de leur existence dans une chronologie, en revanche, elles vont être pleinement là lorsque l’on s’adresse à elles. Aussi, c’est la qualité de la relation, au moment où elle a lieu qu’il faut privilégier en jouant sur les aspects relationnels et émotionnels.

Dans l’ouvrage, le professeur Claude Jeandel développe la relation entre mémoire et émotion et souligne combien elles sont proches l’une de l’autre. C’est une des raisons pour lesquelles la musique est souvent source de réconfort et de réassurance, voire l’occasion de faire réémerger des souvenirs et des émotions antérieures, car elle établit ce lien qui existe entre émotion et mémoire.

C’est un moyen de découvrir qui elles sont pour leur apporter du bien-être ?

C’est très juste. Lorsque l’on accueille une personne qui souffre de troubles neurocognitifs, qui plus est lorsqu’ils sont avancés, elle n’est plus forcément en situation de nous raconter la vie qu’elle a pu avoir ; ce qui a pu la rendre heureuse pas le passé ; ce qu’elle a pu faire sur un plan personnel ou professionnel. En revanche, à travers la relation de confiance immédiate qui se crée dans ces instants-là, on peut comprendre ce qu’elle a pu être et ce qui a pu la rendre heureuse. Dans le livre, on trouve cet exemple où une femme prenait plaisir à avoir des tissus dans les mains, ce qui faisait rejaillir son passé de couturière. Pendant le temps où sa mémoire procédurale était encore assez vive, elle aimait faire des petits travaux de couture. Puis, son état s’étant progressivement détérioré, le seul contact avec le tissu suffisait à la rendre heureuse. Les équipes et la psychologue de l’établissement ont alors rempli un panier de tissus différents et elle passait beaucoup de temps à les toucher, les choisir, les plier. Cela ne ravivait pas forcément un souvenir verbalisé mais l’on voyait que cela contribuait à son apaisement.

Ce sont des choses que l’on découvre, simplement, en regardant la personne faire et s’approprier ce qu’elle a autour d’elle.

Et cela permet de réduire la prise de médicaments chez les personnes anxieuses…

Exactement. On peut recourir à de nombreuses thérapies non médicamenteuses qui fonctionnent. Partage & vie a beaucoup investi dans la méthode Motessori – ce qui a donné lieu à la formation d’au moins une dizaine de personnes dans chacun de nos établissements médicaux-sociaux. Des formations que nous continuons sans relâche pour que la méthode soit entretenue au sein de nos équipes professionnelles et qu’elle devienne un des fondamentaux des soins. C’est une priorité.

La musicothérapie peut avoir des vertus remarquables pour apaiser et faire rejaillir des émotions positives. Les thérapies par la réminiscence, qui consistent à montrer à la personne des photographies et des objets de son quotidien pour faire remonter les souvenirs, contribuent également à leur apaisement. À cet égard, nous recommandons vraiment aux résidents et à leur famille, de meubler leur chambre ou leur domicile avec leurs propres meubles afin que la personne investisse le lieu et qu’elle s’y sente chez soi. Cela leur apporte du confort mais aussi du réconfort.

Nous avons également recours à l’accompagnement par les animaux qui ont cette capacité à apaiser les personnes en établissant une relation sensorielle immédiate. (…) Les toucher, les embrasser, leur parler, sentir leur respiration et leur chaleur, est extrêmement apaisant.

 C’est la qualité de la relation, au moment où elle a lieu qu’il faut privilégier.

Pouvons-nous revenir sur la méthode Montessori adaptée au grand âge ?

Le fondement de cette démarche peut être résumé par la formule : « Aide-moi à faire seul ». Il s’agit de s’appuyer sur les capacités restantes des personnes, sans les mettre en échec, mais en les valorisant. C’est une méthode que nous pouvons appliquer dans tous les moments de la vie quotidienne. Comme nous l’évoquions tout à l’heure, parmi les gestes et les capacités qui restent le plus longtemps, il y a celui de se laver. Une fois très fragilisée et très vulnérable, une personne ne sera plus capable de faire l’ensemble de sa toilette toute seule, mais elle va savoir, parfois encore se coiffer, se laver les dents, s’habiller. Lorsque l’on déploie la méthode Montessori, on se demande à chaque fois que l’on entre dans la chambre d’un résident, ce qu’il sait faire, comment on peut l’aider à palier ses difficultés et lui permettre de le faire seul. Chaque toilette, dans ce cas, sera différente et une relation pourra se tisser entre le soignant et le résident. « Quel vêtement voulez-vous porter aujourd’hui ? », « Préférez-vous le pull bleu ou le beige ? ». La personne a toujours le choix, même si elle n’a plus la capacité de beaucoup s’exprimer. Nous recherchons le consentement du résident autant que possible pour lui donner la capacité d’agir en tant que personne.

Mémoire et grand âge

Comment mieux accompagner

Direction : Roger-Pol Droit, Jean-Yves Dayt et Noémi Poirier

Presses Universitaires de France

Bibliothèque Partage & Vie – novembre 2024
224 pages – 17 €

Un article réalisé en partenariat avec le Magazine Tandem, à consulter ICI .

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