La vigne bleue des Vosges

Contrairement à ses départements voisins, les Vosges produisent très peu de vin. C’est surtout dans la réalisation du célèbre vin bleu et de boissons à base de fruits fermentés qu’elles se démarquent. Explications avec Bertrand Munier.
Sa robe est bleue, d’un bleu profond. Un vin bleu quasi-unique en France, dont on ne trouve de frères jumeaux qu’au Canada ou en Allemagne. Les vignes dont il provient poussent principalement sur les côteaux de La Neuveville-sous-Montfort dans la plaine des Vosges, le seul véritable vignoble vosgien. Deux cépages hybrides créés en Alsace, le Oberlin-Kuhlmann, y sont plantés depuis le début du XXe siècle. Une trentaine de récoltants déverse la récolte dans la coopérative viticole du village.
” Il y a si peu de production, que la vendange se déroule en une seule journée, résume Bertrand Munier, écrivain régional, auteur de Vins et distillation en Lorraine aux éditions du Quotidien. Ce cépage s’est très bien adapté au rude climat vosgien et à son sol. ” Un vignoble de 5 hectares, bien loin des 40 hectares que l’on y cultivait au début du XXe siècle grâce au pionnier de la vigne vosgienne, Léon Millot.
Le vin bleu représente quelques milliers de litres par an
Pourquoi ce lent émiettement ? ” Comme partout en France, le phylloxera est passé par là et a ravagé les cultures viticoles. Le vignoble vosgien n’a jamais été totalement reconstitué “, rappelle le spécialiste. Résultat, aujourd’hui la production portée par Jean Vançon s’enorgueillit d’à peine de quelques milliers de litres de Vin bleu et de Gris fruité, dont 30 % reviennent aux adhérents de la coopérative et 70 % sont mis en vente sous l’agrément Vosges Terroir et la mention Vin de France. ” La qualité de ces productions s’est grandement améliorée ces dernières années grâce à l’aide d’un oenologue qui apporte un appui technique sur la vinification. “
Pour ne pas rester en carafe, les producteurs vosgiens se sont aussi tournés vers d’autres produits fermentés. Les plus originaux d’entre eux sont sans aucun doute les ” vins ” de fruits, même si l’appellation ” vin ” ne leur est pas autorisée. Il s’agit de boissons alcoolisées constituées à base de pissenlits, sureau, groseilles, fraises… du domaine de Beaucerf ou de la famille Villaume. Deux productions attirent plus particulièrement l’attention : ” La Maison Moine produit à Xertigny le Crillon à base de rhubarbe, qui se décline en pétillant, sec ou moelleux. C’est le premier producteur français avec 80 000 cols par an. La boisson s’exporte même à Tokyo, Moscou et est présente sur les cartes des établissements les plus prestigieux “, continue Bertrand Munier.
” Vins ” de rhubarbe ou de foin frais !
D’autres fruits inattendus font aussi des boissons fermentées très appréciés : le goumi, un fruit rouge japonais, cultivé à Coinches dans les Hautes-Vosges par les époux Lemaire. Plus surprenant encore, Fabrice et Nancy Chevrier ont lancé Les Cuvées Vosgiennes, un ” vin ” à base de… foin des montagnes fraîchement coupé ! On savoure des arômes de ” pomme-poire, de coing et des notes finales de cannelle… “, appuie notre spécialiste. Véritable coup de coeur des visiteurs du dernier salon de l’agriculture, il est aussi la coqueluche des aubergistes et des restaurateurs. Un produit aux couleurs vosgiennes et folkloriques dont on aurait bien tort de s’abstenir !
Impossible de finir ce tour d’horizon des productions alcoolisées sans évoquer la distillerie. Avec la star des fruits lorrains, la mirabelle dont ” 75 % de la production mondiale provient de Lorraine “, les Vosgiens ont eu aussi pris goût aux liqueurs. Sur la commune de Le Syndicat, la distillerie Lecomte-Blaise se fait connaître depuis 1862. Si l’eau-de-vie de mirabelle a longtemps été son best-seller, elle s’est diversifiée aujourd’hui en proposant amer-bière, absinthe ou cocktails qui attirent une clientèle plus jeune.
” Je veux tordre le cou aux idées reçues sur le vin lorrain, conclut Bertrand Munier. On lui a longtemps prêté une image sulfureuse. Mais des gens passionnés telle la Maison Moine ont su bouleverser le paysage. Il est temps que de nouvelles générations reprennent à leur compte ce patrimoine pour le faire connaître aux générations futures. “
Merci à Bertrand Munier pour ses conseils, à retrouver dans son délicieux ouvrage Vins et distillation en Lorraine paru en mars 2015 aux éditions du Quotidien (208 pages 30 euros).